Lettre du Groupe ONGs „RADELUX“ à la Chambre des Députés; Luxembourg, le 12 avril 2013
Avis sur la proposition de révision portant modification et nouvel ordonnancement de la Constitution (n°6030)
L’avis a été élaboré par les organisations soussignées du groupe RADELUX [1].
Il se rapporte uniquement à la question des droits de l’enfant et concerne les futurs articles 41 et 16 de la Constitution.
I. Futur article 41 de la Constitution
I.1. Problématique
La Commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle a approuvé le futur article 41 de la Constitution, tel que recommandé par le Conseil d’Etat [2]:
Article 41 :
« L’Etat veille au droit de toute personne de fonder une famille et au respect de la vie familiale.
Il agit dans l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Le groupe RADELUX accueille très favorablement la mention de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la Constitution.
Cependant, le procès-verbal de la réunion du 6 février 2013 ne mentionne pas de discussion sur la portée de ce principe. Si l’on s’en tient à la motivation énoncée par le Conseil d’Etat, il semblerait que ce principe soit entendu comme étant restreint à la seule famille:
« En intégrant dans la Constitution une référence à l’intérêt supérieur de l’enfant, le Conseil d’Etat entend souligner l’importance qu’il convient d’accorder à la famille comme cellule de base de la vie en société, bien plus qu’aux aspects formels de son encadrement juridique » [3].
Or, il est important de souligner que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant a vocation à s’appliquer également en dehors du cercle familial. D’une part, tous les enfants ne se trouvent pas dans un milieu familial ; tel est le cas des enfants placés en foyer, des enfants non accompagnés, des enfants privés de liberté, des enfants hospitalisés, etc. D’autre part, même si un enfant vit dans le milieu familial, il peut être victime d’abus et de négligence, et la famille ne le protège pas toujours. Or, c’est précisément lorsque l’enfant ne bénéficie pas d’un cadre adéquat dans sa famille qu’il a le plus besoin de protection par l’Etat.
Il convient également de souligner que selon le texte et l’esprit de la Convention internationale des droits de l’enfant, l’interprétation de l’intérêt supérieur de l’enfant ne revient pas uniquement à l’État, mais aux mineurs eux-mêmes et en premier lieu. Conformément à l’article 12 de la CIDE concernant les droits participatifs de l’enfant, les auteurs de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ont suivi l’exemple de la Belgique ayant inscrit de manière explicite et nuancée les droits de l’enfant dans la Constitution. Ainsi, l’article 24 [4] de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne précise d’un côté que ce sont les autorités publiques et les institutions privées qui doivent tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’autre côté que les mineurs s’expriment sur les sujets qui les concernent et que cette opinion est à prendre en considération.
En effet, l’intérêt supérieur de l’enfant se réalise (a) par les droits de protection et de prévention envers les enfants, (b) les droits participatifs garantissant au mineur de s’exprimer et d’être associé aux décisions qui le concernent, ainsi que (c) les droits provisionnels (santé, éducation etc.) qui garantissent que la collectivité contribue activement au développement et au bien-être de l’enfant. Cette trilogie des droits, respectivement l’interdépendance de ces trois dimensions des droits de l’enfant nous semble capitale et incontournable dans le cas d’une introduction des droits de l’enfant comme norme constitutionnelle. L’initiative la plus récente vient du législateur irlandais qui a repris également cette trilogie des droits de l’enfant lors du référendum en septembre 2012 à ce sujet [5]. Or, l’énoncé tel que proposé par le Conseil d’État est d’une teneur plutôt réductionniste à ce propos.
Si la Convention internationale des droits de l’enfant a la primauté sur le droit luxembourgeois, il n’en reste pas moins important de s’assurer qu’il n’y ait pas de divergence entre l’interprétation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant selon la Convention et la Constitution et que ce principe fasse l’objet d’une diffusion en droit luxembourgeois conforme aux recommandations du comité des droits de l’enfant de l’ONU concernant le Luxembourg:
« 24. En ce qui concerne les indications de l’État partie selon lesquelles la loi du 25 juillet 2002 constituait le premier texte législatif mentionnant expressément le principe du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, le Comité s’inquiète de l’intégration limitée de ce concept dans les politiques et la législation de l’État partie.
25. Le Comité recommande à l’État partie de renforcer ses actions visant à faire en sorte que le principe général de l’intérêt supérieur de l’enfant soit compris et intégré comme il se doit dans toutes les dispositions légales, dans les décisions judiciaires et administratives, ainsi que dans les projets, programmes et services touchant les enfants » [6].
Etant donné que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale pour toute décision concernant un enfant et pas seulement dans un cadre familial, nous recommandons de consacrer l’intérêt supérieur de l’enfant de manière plus étendue et explicite dans un article séparé, précédant l’article sur le droit au respect de la vie familiale.
Par ailleurs, l’alinéa sur le droit de fonder une famille est centré sur le droit des adultes d’avoir une famille, alors que le droit de l’enfant de grandir dans un cadre familial devrait être central.
Ayant à l’esprit l’article 24, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, selon lequel « Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt », le cadre familial ne doit pas être compris comme englobant uniquement la famille biologique, mais comme toute forme de famille servant l’intérêt supérieur de l’enfant et procurant un encadrement de soutien qui assure la sécurité et la santé physique et psychologique de l´enfant en lui permettant de grandir et de se développer dans le respect du libre épanouissement de sa personnalité.
I.2. Recommandations
Nous recommandons les reformulations suivantes :
Article 41
- 1. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
- 2. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.
Article 42
« L’Etat veille au droit de l’enfant à vivre dans un cadre familial et d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses différents parents, sauf si cela est contraire à son intérêt, au droit de toute personne de fonder une famille et au respect de la vie familiale. »
[1] Le groupe RADELUX s’est constitué en vue de présenter un rapport au comité des droits de l’enfant de l’ONU sur la situation des droits de l’enfant au Luxembourg, dans le cadre de l’examen périodique de l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant. Voir Rapport supplémentaire au 3e et 4e rapport national (2001 – 2009) sur les droits de l’enfant au Luxembourg, groupe RADELUX, et Complément commun au rapport supplémentaire au 3e et 4e rapport national (2001 – 2009) sur les droits de l’enfant au Luxembourg. Les droits des enfants trans’ et des enfants intersexes. L’exemple de leur situation au Luxembourg, groupe RADELUX, nov. 2012, www.radelux.lu.
[2] Voir procès-verbal de la réunion de la Commission du 20 février 2013 (P.V. IR 25), p. 7 et 8. Nous nous référons à la numérotation des articles telle qu’elle figure dans ce procès-verbal, bien qu’elle ait été modifiée par la suite.
[3] Avis du Conseil d’Etat du 6 juin 2012, p. 36.
[4] Traité de Lisbonne – 13 décembre 2007 / CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPÉENNE (2010/C 83/02) : « 1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité. 2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. 3. Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. »
[5] Référendum du 10 novembre 2012 au sujet du trente-et-unième amendement de la constitution irlandaise, inscrivant les droits de l’enfant. (THIRTY-FIRST AMENDMENT OF THE CONSTITUTION (CHILDREN) BILL 2012) as passed by both Houses of the Oireachtas.
[6] Observations finales, 31 mars 2005, CRC/C/15/Add.250.