Halte à la banalisation de la privation de liberté pour mineur-e-s
Objection au ministre de la justice Félix Braz qui plaide pour une enième prison pour mineur-e-s
L’ANCES, le « Fachverband fir Sozial Aarbecht, Bildung an Erzéiung » se montre stupéfait et offusqué par les propos du ministre de la justice Félix Braz tenus à l’aube de la journée mondiale des droits de l’enfant du 20 novembre 2016 au sujet de la situation des mineur-e-s en prison. En effet, dans un interview accordé vendredi dernier à la radio socio-culturelle « 100komma7 »[1], le ministre de justice Félix Braz plaide pour une prison supplémentaire pour mineur-e-s et jeunes adultes entre 16 et 21 ans comme solution idéale (voire miracle) afin de pouvoir remédier à la situation actuelle de la détention des mineur-e-s dans la section des mineurs au CPL (Centre pénitentiaire du Luxembourg) à Schrassig-Kuelebierg.
Au moment où la toute nouvelle prison pour mineur-e-s au Centre socio-éducatif à Dreiborn est prête à ouvrir ses portes et à accueillir au maximum 12 mineur-e-s qui devront être placé-e-s par les juges de la jeunesse sur base de la loi sur la protection de la jeunesse datant de 1992 et presqu’inchangée depuis. Le ministre de la justice Félix Braz affirme qu’il n’entend pas fermer définitivement la section de mineurs au CPL à Schrassig. Pourtant cette situation est critiquée depuis plus de 20 ans par des organismes internationaux et par les défenseurs des droits de l’enfant étrangers et luxembourgeois à cause du non-respect de l’interdiction de cohabitation et la mixité entre détenu-e-s adultes et mineur-e-s en situation de privation de liberté, un des standards principaux de toutes les recommandations reconnues au niveau international en la matière.
Or, c’est depuis plus de 20 ans que les responsables politiques prônent la création d’une « unité de sécurité » pour mineur-e-s et implantée à un autre endroit géographique que celui du CPL comme moyen de remédiation à cette situation insatisfaisante. Il serait donc logique et cohérent que la pratique du placement au CPL se termine enfin avec l’adoption imminente à la Chambre des Députés du projet de loi 6593[1] concernant le fonctionnement de la toute nouvelle prison à Dreiborn. D’ailleurs ceci correspond aux annonces du gouvernement luxembourgeois des dernières années auprès des instances et commissions internationales (comme par exemple le Comité internationale des Droits de l’Enfant à Genève).
L’ANCES se félicite d’ailleurs des améliorations obtenues au niveau de ce projet de loi 6593 concernant le fonctionnement e.a. à la suite de son avis de mai 2014[2] y relatif. C’est ainsi que l’obligation d’un plan individualisé pour tout mineur-e à l’Unisec a été inscrite dans la loi, les moyens de recours ont été améliorés et l’orientation socio-pédagogique de la prise en charge a été précisée. N’empêche que plusieurs autres revendications de l’ANCES restent non considérées, telles la précision des profils criminologiques des mineur-e-s et la clarification des motifs d’incarcération des futurs pensionnaires, la réorganisation et la décentralisation du Centre socio-éducatif en unités décentralisées, ainsi qu’un accompagnement scientifique par des analyses et évaluations en criminologie.
Sans travaux d’analyse criminologiques et sociologiques appropriés, sans besoin chiffré, sans attendre les expériences et évaluer le bon fonctionnement de l’Unisec et sans étude et mise en place de solutions alternatives (p.ex. bracelet électronique ; internement en alternance etc.), la proposition du ministre de la justice en faveur d’une prison supplémentaire pour une population mixte tend à banaliser la privation de liberté des mineur-e-s. À ne pas négliger non plus le risque de maltraitance institutionnelle. Faut-il rappeler que l’infrastructure prête à fonctionner à Dreiborn correspond entièrement à celle d’autres prisons et que la future base légale s’oriente et correspond aux règles pénitentiaires européennes. L’Unisec n’est ni une auberge de jeunesse, ni un foyer d’accueil ou thérapeutique ! Le recours à la privation de liberté de mineur-e-s doit toujours rester un recours ultime (ultima ratio) après l’échec de toutes autres interventions et les critères d’application doivent être exigeants.
L’ANCES ne s’oppose nullement à un débat d’idées concernant des innovations à apporter dans l’exécution des peines pour jeunes adultes (au niveau du code pénal) ainsi que des formules alternatives dans la phase de transition vers l’âge d’adulte, n’empêche que ces mesures ne pourront point être ordonnées au nom d’une seule logique de « protection » sans glisser dans la dérive d’une rétention de sécurité (Sicherheitsverwahrung) qu’il faudrait légiférer d’abord.
Cependant, la pratique de la détention au CPL ne saura être légitimée par le manque d’infrastructures. La construction d’unités de sécurité supplémentaires conduira plutôt à une généralisation de la privation de liberté qu’à son emploi judicieux. Rappelons de plus que le CSEE disposera toujours de cellules d’isolement à Dreiborn et à Schrassig destinées à des sanctions disciplinaires, au maintien du bon ordre ou à des fins d’apaisement et dont la durée maximale devra être réduite au strict minimum de 24 heures par rapport aux 10 jours actuellement inscrits à la loi.[3]
L’ANCES regrette fortement qu’un débat professionnel (Fachdebatte) ouvert et transparent n’ait pas lieu en la matière et notamment au sujet de la très nécessaire réforme de la protection de la jeunesse. Les travaux du groupe de travail interministériel mentionné par le ministre de la justice se font à huit clos, notamment pour les acteurs du terrain et tiers-experts. En effet, depuis la journée thématique organisée en juillet 2013 par l’ANCES et l’ORK[4], aucun autre forum de débat n’a suivi en la matière. L’ANCES ne peut pas suivre le ministre dans l’approche de trancher les décisions quant à la réforme de la loi sur la protection de la jeunesse seront tranchées uniquement dans un groupe restreint d’acteurs et d’experts nationaux. Ne devrait-on pas plutôt revenir au législateur pour trancher les questions de fond ?
Ainsi, l’ANCES plaide instamment pour un véritable débat professionnel (Fachdebatte), une consultation ouverte et transparente de tous les acteurs intéressés, dont notamment également les acteurs du secteur socio-éducatif, les personnes directement concernées (et ne fut-ce que par l’intermédiaire d’études et d’associations) et les organisations non-gouvernementales. D’ailleurs l’apport en expertise par des tiers-experts et chercheurs nationaux et internationaux en matière de justice juvénile ne devrait pas nuire à la qualité du débat et aux innovations à apporter à la base légale existante.
La démarche choisie par le ministre de la justice en la matière ne peut trouver l’accord des professionnels socio-éducatifs sans un débat de fond préalablement réalisé. Comme par la participation au projet européen « Children’s rights behind bars » avec la réalisation d’un guide de monitoring pour des lieux où des enfants sont privés de liberté[5], l’ANCES reste partant pour relancer le débat. Une demande d’entrevue à ce propos est adressée au ministre.
[1] 6593 – Projet de loi portant modification : 1. de la loi du 16 juin 2004 portant réorganisation du centre socio-éducatif de l’Etat; 2. de la loi modifiée du 29 juin 2005 fixant les cadres du personnel des établissements d’enseignement secondaire et secondaire technique; 3. de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire ; 4. de l’article 32 du Livre 1 er du code de la sécurité sociale (déposé en juillet 2013)
[2] https://www.ances.lu/index.php/organisation/statuts/170-avis-de-l-ances-concernant-le-projet-de-loi-6593-relatif-a-l-unisec
[3] Commentaire de la règle 91 des Recommandation CM/Rec(2008)11 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures. « La durée maximale ne doit pas excéder 24 heures, durant lesquelles il convient de développer d’autres moyens moins interventionnistes de maintenir le bon ordre (voir Règle 91.4). » à la loi actuelle stipule à l’article 9 : « La mesure de l’isolement temporaire ne peut être prise que pour des motifs graves dûment documentés. La durée de la mesure ne peut pas dépasser dix jours consécutifs. »
[4] journée thématique juillet 2013 – LES JEUNES PRIVE(E)S DE LIBERTE DANS LA PERSPECTIVE D’UNE JUSTICE ADAPTEE AUX MINEUR(E)S
[5] http://www.childrensrightsbehindbars.eu/
Interview 100komma7 Felix Braz 18-11-2016 Unisec.pdf
Lettre / communiqué concernant propos du ministre de la justice